Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/254

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Un homme robuste et agile s’élança les sourcils froncés :

— Qui est-ce qui a dit que notre commandant est fou ? s’écria-t-il.

— C’est moi, Jean-Marie, répondit le sergent ; m’est avis que la bravoure doit avoir des bornes et ne pas aller jusqu’à la témérité.

— Qu’est-ce que tu chantes ? Je sais bien à quoi elle ressemble une bravoure comme celle-là. Des bornes ! garde-les pour toi, tes bornes.

— Si je ne m’abuse, pourtant, reprit le sergent, s’appuyant sur sa pique et croisant un pied sur l’autre, ta bravoure à toi ne dépasse pas les limites des rivages.

— Ne parlons pas de cela, dit Jean-Marie avec impatience ; ceux qui n’ont pas vu la fin du monde ne peuvent savoir ce que c’est ; moi je l’ai vue et je n’y retournerai pas, mais je défie qu’on trouve sur terre quelque chose qui puisse me faire reculer ; et puis il ne s’agit pas de cela ; on a dit que notre commandant est fou, voilà des choses que je ne peux pas souffrir : d’abord qu’est-ce que cela vous fait ? c’est nous, les marins, qui sommes commandés pour l’escalade ; vous n’aurez qu’à nous suivre.

— Si nous ne vous précédons pas, dit quelqu’un.

— Silence dans les rangs ! souffla le sergent.

Un officier passait à cheval, criant des ordres. Le comte d’Auteuil n’était plus qu’à quelques heures de marche, et l’on attaquait tout de suite.

Les soldats s’avancèrent alors dans la plaine, se rangèrent en bataille, tandis que les tambours battaient.