Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/284

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tente royale, Bussy avait senti qu’on le tirait furtivement par la manche ; et, en se retournant, il reconnut un kaséghi, de la suite du grand vizir, le brahmane Rugoonat Dat. Le jeune page mit un doigt sur ses lèvres, en glissant au marquis un étui d’or, long comme le manche d’un poignard, puis il se perdit dans la foule.

Bussy referma sa main sur l’étui, avec un joyeux battement de cœur ; l’esprit toujours tendu vers une même pensée, il avait compris tout de suite que c’était un message de Lila.

Rien ne manquait plus pour lui, maintenant, au bonheur de cette journée, où il se sentait vraiment heureux d’exister, fier de sa jeunesse et de la renommée qu’il avait conquise déjà. Autour de lui ses compatriotes répétaient, à l’envi, que, depuis les conquêtes de François Pizarre, on n’avait, dans le monde, rien vu de comparable aux derniers exploits des Français, et dans ces victoires il avait la plus belle part ; le soubab, plein de reconnaissance, l’avait fait plus riche qu’il n’avait jamais rêvé de l’être, et les Hindous le comparaient à leurs héros légendaires. L’Inde criant ses louanges, c’était cela surtout qui le ravissait. L’écho de cette gloire viendrait jusqu’à Ourvaci, et comment pourrait-elle le mépriser encore ?

Mais il ne pouvait pas s’enfuir pour aller lire la chère lettre. Ce fut seulement le soir, après le banquet, pendant le bal donné par le gouverneur, qu’il put, dans le jardin illuminé, trouver un instant de solitude.