Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/291

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— Un soldat est toujours prêt à marcher, dit Bussy. Dès que notre cher gouverneur me donnera l’ordre de partir, je partirai. J’attends ses dernières instructions.

— J’aurais mille recommandations à vous faire, dit Dupleix ; mais elles sont inutiles puisque vous pensez comme moi, et qu’il est certain que les circonstances vous les inspireront ; je veux seulement vous mettre en garde vis-à-vis des nababs de Kanoul et de Kadapa ; ma pensée intime est qu’ils sont des coquins, et que dès à présent ils méditent quelque noirceur. Je suis persuadé que vos premiers embarras viendront de ces traîtres ; défiez-vous d’eux et prévenez leurs complots, si c’est possible. Je veux vous parler aussi du jeune prince Salabet-Cingh, que je mets aujourd’hui sous votre protection.

Au nom du prince, Bussy n’avait pu retenir un tressaillement, qui fut remarqué par le brahmane.

— Qu’est-il donc arrivé à Salabet-Cingh ?

— Quelque chose que je n’ai pu empêcher et qui m’attriste, dit Dupleix. Sous prétexte de faveurs et de grades dont il veut le combler comme un de ses plus proches parents, Mouzaffer emmène son neveu avec lui, et lui donne une garde d’honneur qui a l’ordre de ne pas le quitter ; bref, Salabet est prisonnier. C’est toujours comme cela qu’on procède dans les familles royales, pour prévenir les conspirations, qui sont choses habituelles. Malgré les caresses dont on l’enveloppe, le jeune prince voit très bien sa chaîne, et il est désespéré. Il m’a supplié d’intervenir, mais comment laisser voir au roi que je