Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/295

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sait, d’ailleurs, si la princesse ne s’était pas un peu laissé prendre à son propre piège ?

La reine allait voir, ce jour-là, la merveilleuse fête que le printemps donnait à la forêt. On s’était mis en marche, tous les éléphants à la file, chargés de femmes gracieuses, de chanteuses, de musiciennes, qui froissaient l’une contre l’autre les cymbales, martelaient les tambourins, frôlaient de l’ongle les vinas. Sous le houdah royal, près d’Ourvaci, se tenait Lila, muette et comme accablée de chagrin.

— Tu songes donc toujours à ce barbare ? dit la reine, ta douleur semble plus terrible que jamais.

— C’est que l’absence est comme la faim, dit Lila, on la supporte quelque temps, et plus elle dure, plus elle devient intolérable. Mes yeux ont faim de lui, vois-tu ; je l’attends, comme le monde attend la lumière, et il me semble que je m’enfonce dans une nuit interminable.

— Comment pourrais-tu le voir ? Tu sais bien que tout est fini et qu’il ne reviendra plus.

— Avec quelle tristesse elle prononce ces paroles ! se dit Lila à elle-même. — Crois-tu donc qu’il t’a oubliée ? reprit-elle tout haut ; crois-tu donc que, comme moi, pour lui, il ne soit pas dévoré du désir de te voir ?

— Il doit plutôt fuir ma route, après tout ce que j’ai entrepris contre lui. Mais est-il possible que tu désires, à ce point, la venue de quelqu’un qui ne viendrait pas pour toi ?

— La plante qui s’épanouit au soleil, ne demande pas si c’est pour elle que l’astre est venu ; elle fleurit et voilà tout.