Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/30

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trée d’une excavation, il venait d’apercevoir une tigresse au milieu de sa portée.

Sans défiance, elle était renversée sur le dos, dans les grandes herbes, et jouait avec ses petits. On voyait la blancheur satinée de son poitrail et de son ventre, ses mamelles roses, gonflées de lait, et le dessous de ses terribles pattes capitonnées de coussinets. Elle rentrait soigneusement dans leurs gaines ses griffes tranchantes et recourbées comme des cimeterres. Les yeux demi-clos, couchant les oreilles, elle entr’ouvrait sa gueule formidable, gouffre rose crénelé de dents aiguës, et l’on apercevait les cellules creusées sur sa langue rugueuse.

Le marquis était comme fasciné, retenait sa respiration, et, machinalement, cherchait à sa ceinture un pistolet.

C’était donc là sa première aventure ! La reine des jungles, superbe et terrible, lui apparaissant au lieu de la belle princesse qui hantait ses rêves ! La rencontre pouvait être mortelle et, qui sait ? peut-être moins redoutable que celle qu’il désirait tant.

Malgré le danger qu’il courait, le jeune homme ne pouvait se défendre d’admiration pour la beauté farouche et la grâce de l’animal. Les petits folâtraient avec une joie nerveuse ; l’un d’eux mordillait au flanc la tigresse qui renversait la tête vers lui languissamment. Le soleil, à travers les branches, jouait sur les zébrures fauves, miroitait sur la blancheur du ventre et faisait paraître d’argent les roides crins de la moustache.

Bussy songeait encore au paradis, à des tigres doux