Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/309

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— Ah ! j’ai beau me débattre, murmurait-il, la solution est là ; c’est le seul salut possible,… et pourtant cela ne sera pas.

Mais il éclata d’un rire amer.

— Ah ! çà, est-ce que vraiment je suis capable d’hésiter entre mon devoir et mon bonheur ?

Et il se mit à marcher à grands pas, serrant son front dans ses mains.

— Eh bien ! oui, j’hésite, cria-t-il, ou plutôt je n’hésite pas ; que m’importe le monde et ses ambitions ? je ne serai pas assez fou pour élever moi-même un rival détesté, je ne ferai pas de Salabet-Cingh un roi.

Il s’arrêta effrayé du son de sa voix.

Au dehors, on entendait un bruit confus, comme l’agitation d’une foule.

— Pourvu que cette pensée ne soit venue à nul autre qu’à moi, se disait-il.

À ce moment, le rideau de la tente s’écarta et une grande figure blanche s’avança, en le laissant retomber. C’était Rugoonat Dat, le vizir du roi défunt.

Il avait dénoué ses cheveux, en signe de deuil, mais il gardait une expression ferme et calme.

— La mort est une caravane en marche dont tous nous faisons partie, dit-il ; l’éparpillement c’est la fin des amas, les élévations s’écroulent, les assemblages se séparent, le trépas finit la vie. Nous étions tout, nous ne sommes plus rien. Mais sur les ruines s’élève le palmier, et sur le malheur peut refleurir l’espoir. Je suis sûr, mon fils, que tu as eu la même pensée que moi, et je viens, si je puis t’être utile, me mettre à ta disposition.