Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/324

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Nanda, le savant fakir, ne s’est pas trompé : les plus folles ambitions du capitaine des volontaires sont surpassées. Son palais, avec ses jardins, occupe une superficie de plus d’une lieue ; il ne sait pas le nombre de ses esclaves : s’il sort, enveloppé du nuage odorant qui s’échappe des cassolettes, tout un peuple s’agenouille. L’Inde l’acclame et la France le bénit ; car ses triomphes sont doubles : il est général, chevalier de Saint-Louis, en même temps qu’il est nabab et honoré des titres les plus rares. Son nom est plus pompeux encore que celui de Salabet, car on l’appelle aujourd’hui : le nabab Bussy-Bâhâdour, Humdet-el-Molouk, Saïfet-Daula, Gazamfer-Cingh, ce qui signifie : Le Plus Important des Rois, le Glaive de l’État, le Lion des Lions. Il a même reçu du Grand Mogol, Alemguir II, qui vient de succéder à Achmet, une lettre extrêmement flatteuse dans laquelle « Sa Toute-Puissance » confirme les titres dont « le très digne de sa faveur » a été investi, et l’invite à la venir visiter à Delhi.

Mais au-dessus de toutes ces vanités qui ne font qu’amuser son orgueil, il y a pour le jeune homme ce bonheur profond de se savoir aimé en secret, et de l’avoir été même avant que l’éclat de ces grandeurs fût venu lui donner son prestige. Maintenant qu’il est son égal, la fière Ourvaci laissera-t-elle enfin s’envoler en plein ciel cet amour qu’elle garde si tyranniquement captif ? entendra-t-il un jour ses lèvres délicieuses lui confirmer l’aveu que ce beau regard a laissé rayonner sur lui ? Qu’arrivera-t-il encore ? Il se plaît à édifier l’avenir, repoussant la sourde inquié-