Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/40

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Le jeune homme reprit, après un moment de silence :

— Dans mon pays, il y a certes une distance énorme entre le noble et le vilain ; mais si celui-ci est honnête et intelligent, s’il nous sert avec fidélité, c’est un homme comme un autre et qui mérite estime et affection. Vos préjugés de l’Inde n’existent pas pour moi ; donc rassure-toi, et si ton haleine n’est pas pernicieuse, laisse cette planche qui m’agace, et réponds sans détours à mes questions.

— Ah ! seigneur ! s’écria le paria en tombant à genoux, est-il possible que, sachant qui je suis, tu m’adresses de telles paroles ? Elles sont pour moi comme serait une source fraîche pour un damné. Ah ! pour les avoir dites, même si tu les rétractes, fais de moi ce que tu voudras, et, si ma misérable vie peut te servir, prends-la, je te bénirai !

— Je ne veux pas tant, dit Bussy, touché de l’accent de joie déchirante que cet homme avait mis dans ses paroles.

Et il ajouta avec douceur :

— Comment t’appelles-tu ?

— Mes pareils me nomment Naïk ; pour les autres, je n’ai pas de nom.

— Eh bien, Naïk, dis-moi où je suis.

Le paria regarda autour de lui avec inquiétude. Il vit que son compagnon, qui était rentré sans bruit après le départ du brahmane et du médecin, dormait à plat ventre dans un coin. Alors, il répondit, à voix basse :

— Tu es, seigneur, dans l’enceinte d’un des palais de la reine de Bangalore.