Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/428

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— Lila ! Je ne veux pas la voir, reprit-il d’une voix plus faible.

— Tu la verras cependant, dit la princesse, qui parut dans l’ogive de la porte.

Ils se regardèrent longuement, oppressés par les battements désordonnés de leur sang. Elle était horriblement pâle, avec le visage défait et fatigué ; le voile et les vêtements sombres qui l’enveloppaient, en désordre et souillés de poussière, témoignaient de la hâte avec laquelle elle s’était rendue au palais, après un long et rapide voyage.

Chancelant de lassitude, elle s’avança vers Bussy :

— La reine a besoin de toi, dit-elle, viens.

Le marquis se recula et répondit d’une voix entrecoupée :

— Elle a besoin de moi ? vraiment ! elle trouve sans doute que cette fois encore j’ai été mal tué. Eh bien, qu’elle se rassure, la nouvelle de ma mort ira bientôt la tranquilliser. Elle peut dire à ses brahmanes que le serment qu’elle leur a fait, elle l’a tenu, car c’est bien par elle que je meurs. Mais, dis-lui aussi que je reste loin de son atteinte ; je redoute les breuvages qui vous rendent lâche et imbécile, avant de vous pousser au tombeau, je tiens à mourir tout entier, à me coucher pour jamais dans une renommée sans tache ; c’est pourquoi je ne te suivrai pas.

— Ah ! ton orgueil était plus grand que ton amour ! ta conduite l’a bien prouvé, s’écria la princesse avec désespoir ; elle aussi est orgueilleuse, et voilà ce qui vous perd tous deux : soupçonnée injustement, elle était trop fière pour pouvoir se justifier, elle a su