Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/70

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l’air, il lui semblait que son sang devenait du feu. et le sommeil le fuyait.

C’est qu’à la chaleur de l’atmosphère se joignait pour lui celle de la fièvre, qui remplaçait l’engourdissement réparateur par une excitation douloureuse. Le jeune homme constatait avec colère, qu’il était hanté par le souvenir de cette Hindoue pour laquelle il aurait pu stupidement mourir sans qu’elle s’informât même de son nom ; et que, malgré sa ferme volonté de l’oublier, il y pensait le jour et il en rêvait la nuit.

Les événements qui l’avaient tout d’abord et violemment arraché à lui-même, le laissaient maintenant dans une oisiveté funeste, emplie tout entière par cette torturante rêverie.

— Pourquoi m’a-t-elle traité comme un ennemi ? se demandait-il cent fois. Ah ! ce mystère dont a parlé le brahmane, le savoir c’est tout ce que je désire ; ensuite j’oublierai ce rêve, ou plutôt ce cauchemar.

Et oppressé, il s’agitait sur la criante chaise longue, tandis qu’un léger ronflement venait de la pièce voisine où Kerjean dormait paisiblement.

Douloureuse et touchante, la voix montait de nouveau au dehors, tout proche maintenant :

    Ah ! terre et ciel ! voyez ce que nous sommes !
Les tigres ont leurs antres, les serpents leurs trous, les
      oiseaux ont leurs nids dans les branches.
    Dans la maison de son père naît et meurt l’homme des
      quatre castes.
   Où donc peut-il naître, le paria ? Le paria, où donc peut-il
      mourir ?
   Ah ! terre et ciel ! voyez ce que nous sommes !