Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/73

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dernier anneau d’une chaîne qu’il ne pouvait plus briser, et il sentait un apaisement singulier depuis qu’il avait ressaisi ce faible chaînon. La fièvre s’en était allée, subitement.

Naïk après avoir bu un verre d’eau de neige, pelotonné dans la couverture, s’était accroupi aux pieds du jeune homme et le regardait en silence, semblant attendre une interrogation. Bussy la retardait, se faisant violence encore. Il prit un détour.

— Tu as donc quitté le service du palais ? demanda-t-il. Tu t’es donc enfui ?

— La disparition d’un ver de terre ne se remarque pas, dit le paria en souriant ; un autre prendra ma place, recevra au lieu de moi les détritus et les injures, notre seul salaire, et nul ne s’apercevra qu’il y a un paria au lieu d’un autre.

— Pourquoi ne m’as-tu pas rejoint plus tôt ?

— C’était pour te mieux servir, maître, dit Naïk avec un éclair dans les yeux, j’ai voulu faire l’impossible, et je l’ai fait.

Le marquis se souleva et plongea un regard ardent dans celui du paria :

— Que veux-tu dire ? balbutia-t-il, ce mystère dont parlait Rugoonat Dat… ?

— Je le sais.

Bussy se leva et poussa un long et lent soupir.

— Enfin ! s’écria-t-il, tu vas donc me délivrer de cette obsession ! tu vas, en satisfaisant ma juste curiosité, me permettre d’oublier ce dont je me souviens trop.

Le paria secoua la tête avec une expression de tristesse.