Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/74

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— Tes yeux se sont aveuglés de sa beauté, ils ont bu son âme, dit-il, tu n’oublieras pas, on ne peut pas l’oublier ; ce que j’ai à t’apprendre devrait pourtant te guérir ; mais tu ne guériras pas, hélas ! jamais tu n’oublieras.

— Tu crois ? murmura Bussy, qui, la tête baissée, le regard rivé au plancher, sembla descendre jusqu’au fond de lui-même.

Naïk soupira et garda le silence.

— Allons ! dis ce que tu sais, reprit le marquis après un instant.

La respiration régulière qui venait de la chambre voisine semblait inquiéter Naïk.

— C’est un ami, dit Bussy ; il dort profondément, d’ailleurs il n’entend pas l’hindoustani, tu peux parler.

— Je ne te dirai pas, seigneur, au prix de quelles ruses je suis parvenu à savoir ce que le brahmane n’avait pas voulu dire. Je ne risquais que ma vie, mais la perdre eût été te mal servir. Sache donc que, comme un reptile, je me suis glissé dans les retraites les plus sacrées, sans souci du sacrilège ; des jours entiers, presque sans souffle, blotti sous quelque meuble, ou enroulé aux sculptures d’une colonne et me confondant avec elles, j’ai vu ce que je ne devais pas voir et entendu ce que je ne devais pas entendre.

— Ah ! merci, Naïk ; toutes ces choses tu me les diras !

— Oui, maître, j’ai de quoi entretenir ton mal et t’empêcher d’y succomber peut-être, puisque tu ne peux en guérir. Ma mémoire fidèle garde un trésor