Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/75

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qui t’appartient et dont je serai avare, pourtant, afin que tu ne l’épuises pas trop vite.

— Mais, dit Bussy en souriant, tu me déclares incurable avec une certitude qui m’amuse. Comment donc as-tu si bien deviné ce que je sais à peine moi-même !

— Les cris de ton délire, sous le hangar inhospitalier, les murmures de tes rêves, c’est moi qui les entendais, ne mettaient-ils pas ton âme à nu ? et sans cela même, mon cœur, qui souffre avec le tien, avait tout deviné.

— Tu ne songes pas à la volonté qui triomphe des faiblesses du cœur.

— L’amour a cinq flèches, une pour chaque sens, dit Naïk gravement ; quand toutes vous ont frappé, comment retenir la raison, fuyant par tant de blessures ?

— Nous verrons cela. Continue.

— Après ton départ, la reine revint au palais, et je commençai à épier. Je vis et j’entendis cent choses n’ayant nul rapport avec ce que je voulais savoir. La première révélation me vint d’une entrevue de la reine avec le brahmane Rugoonat Dat. Je te rapporterai leurs paroles, ma mémoire les a gardées toutes, les voici :

« — Saint brahmane, demanda la reine, peux-tu paraître en ma présence ? t’es-tu suffisamment purifié des souillures qu’inflige la fréquentation d’un barbare ?

« — Le brahmane, répondit Rugoonat Dat, sanctifie, et sa pureté ne peut être souillée ; cependant pour te complaire j’ai rempli les rites prescrits.