Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/86

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gravissent lestement. D’autres jaillissent des mansardes, découvrant leurs dents blanches dans un large rire en se glissant sur les toits.

Il s’agit d’une pêche des plus originales, celle des poissons, d’assez forte taille, que la violence du vent, ou on ne sait quel phénomène, transporte, pendant les tempêtes, sur les toits et les terrasses.

Bientôt les fenêtres se rouvrent, les rues ravinées et bouleversées se repeuplent ; l’on court à la grève jonchée de débris et où s’échouent toutes sortes d’épaves de mauvais augure, et de nouveau les regards anxieux interrogent la mer déserte.

Du haut du fort Saint-Georges, derrière la fenêtre grillée de l’appartement qui leur sert de prison, le major général de Bury et ses compagnons de captivité regardent, eux aussi, avec une inquiétude poignante l’Océan encore tout blanc d’écume. A-t-il tout englouti ? l’escadre française n’est-elle plus qu’un souvenir ?

Le brave ingénieur Paradis ne peut calmer son indignation ; sa face énergique, un peu congestionnée, est toute froncée par la colère, et, avec son léger accent suisse, il ne cesse de mâchonner des jurons.

— Que le grand diable d’enfer emporte cet amiral de malheur ! grommelle-t-il ; nous aurions bien pris Madras sans lui, et nous ne serions pas dans un pareil pétrin. Cette gueuse de forteresse serait à bas, au lieu de nous tenir là penauds et rageant comme des rats pris au piège.

— Le sort de ces pauvres officiers des navires et de leurs matelots, qui sont peut-être, pour la plupart, à l’heure qu’il est, entamés par les poissons, me fait