Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/87

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oublier les ennuis de notre situation, dit Bury. Qu’un commandant d’escadre ait pu à ce point compromettre la sûreté de ses vaisseaux, c’est ce que je ne peux comprendre. S’il est vraiment assez infâme pour avoir vendu sa complaisance aux Anglais, et assez criminel pour, ayant d’un côté la vie de ses hommes et de l’autre un méchant million, avoir laissé pencher la balance du côté de l’argent, il mérite vraiment d’aller bouillir dans la marmite où le souhaite Paradis.

— L’absence de nouvelles et l’incertitude où elle nous plonge me font bouillir le sang, à moi, dit de La Touche en se promenant à grands pas.

— Et moi, l’absence de sorbets me met le gosier en feu, s’écria Changeac ; puisque ce Judas breton s’est chargé de nous, il devrait bien nous faire monter quelques rafraîchissements.

— Il veut nous faire crever de soif, grogna Paradis. Je le traitais mieux quand il logeait chez moi à Oulgaret. Ah ! si j’avais su !

De La Touche s’était rapproché de la fenêtre :

— Voyez donc, messieurs, dit-il tout à coup, n’est-ce pas notre ennemi qui s’agite là-bas sur la grève ?

— Où est-il, que je vomisse sur lui des malédictions ? cria Paradis.

— Il doit être dans ses petits souliers, dit Bury ; sa responsabilité est grande, et l’on dirait que la mer lui rend ses vaisseaux à l’état de bois à brûler.

Les têtes des prisonniers se pressaient aux barreaux de la fenêtre, cherchant à comprendre, malgré l’éloignement, ce qui se passait sur le rivage. Toutes les chelingues semblaient détruites ; car l’on mettait à la