Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/98

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basse, et, à en juger par la mélodie, son âme est triste.

Ils écoutèrent, en retenant leur respiration, tant que chanta le violon. Il se tut subitement, après une coda tumultueuse, sur un accord nerveux et violent, comme si le musicien entendait dire que les douleurs et les obstacles il les fallait vaincre par la force d’âme et la volonté.

Peu après, Dupleix parut à la fenêtre, tenant encore son instrument. Il était en manches de chemise, le jabot de dentelle un peu froissé.

— Bravo ! mon oncle ! bravo ! s’écria Kerjean.

— Ah ! vous m’écoutiez, monsieur l’indiscret ?

Et apercevant Bussy, Dupleix le salua.

— Montez, ajouta-t-il, je suis à vous. Et il se retira vivement de la fenêtre.

Quelques instants après, ils étaient introduits dans un salon somptueux, et bientôt, une riche portière s’écartant, Dupleix parut. Il avait passé un habit très simple, gris de lin, sans broderie.

En voyant de près le gouverneur, celui que les indigènes, autant que les Européens, appelaient : « le grand gouverneur », Bussy ressentit comme une commotion, tant il eut l’impression vive d’être en présence d’un homme vraiment supérieur, d’un dominateur, d’un maître.

Dupleix n’avait pas encore cinquante ans et aucune trace de fatigue n’altérait l’énergie de ses traits ; il apparaissait dans toute la plénitude de sa beauté morale et physique, la noblesse des pensées embellissant la forme. Il avait le front haut et vaste, le nez