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le collier des jours

ractères plus gros, plus espacés, au-dessus des lignes, qui, par la suite, de plus en plus se serrent et s’enchevêtrent.

Et toujours cette éclosion brusque d’un sentiment, sans doute fugitif, mais si vif, qu’il est pour moi inoubliable, fixe du même coup, dans ma mémoire, le décor et les circonstances dans lesquels il s’est produit.

Ma première rencontre avec moi-même eut lieu dans ce logis de ma nourrice, à l’époque où l’on commençait à me sevrer.

Je revois la scène avec une netteté extrême, et il me semble que les êtres et les objets qui m’entouraient, et devaient m’être déjà familiers, je les vois pour la première fois. Savais-je déjà parler ? Je ne me souviens pas d’avoir prononcé, ce jour-là, un seul mot ; mais certainement, j’ai compris ce qui fut dit, alors, autour de moi.

C’était au moment d’un repas, et toute la famille était réunie. La table à manger, placée dans un angle, près d’une fenêtre, formait un carré long, appuyé de deux côtés à la muraille. J’étais sur les genoux de ma nourrice qui me faisait manger de la bouillie, qu’elle portait à ses lèvres à chaque cuillerée, pour s’assurer que ce n’était pas trop chaud.

Une discussion s’engagea ; on reprochait au père, un peu ivrogne et mal portant, de boire