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le collier des jours

trop de vin ; mais il n’entendait pas raison, haussait la voix, se fâchait même : se fâchait contre Elle ! C’est cela sans doute qui écarta, pour un instant, les brumes de mon esprit d’enfant. Avec une résolution brusque, je m’étendis sur la table, allongeant les bras pour saisir le verre, à demi plein de vin, que j’empoignai à deux mains, puis, échappant à ma nourrice, je me glissai à terre.

La surprise avait arrêté net la discussion et on regardait ce que j’allais faire.

De mon pas titubant, avec beaucoup de gravité, je me dirigeai vers la fontaine, placée à un autre bout de la pièce. Cela me paraissait très loin. J’y arrivai pourtant, et, tournant un des robinets, je remplis d’eau le verre. Avec plus de solennité encore et une attention extrême pour ne rien verser, je revins et je tendis le verre, ainsi corrigé, au coupable. Il le prit en riant et le vida ; et l’on me fit une ovation, tandis que j’escaladais les genoux de la chérie, sauvée, par moi !…