Page:Gautier - Le Roman de la momie, Fasquelle, 1899.djvu/161

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breuvages qui font oublier. La musique l’ennuyait ou développait outre mesure sa sensibilité ; elle ne prenait plus aucun plaisir aux danses de ses compagnes ; la nuit, le sommeil fuyait ses paupières, et, haletante, étouffée, la poitrine gonflée de soupirs, elle quittait sa couche somptueuse, et s’étendait sur les larges dalles, appuyant sa gorge au dur granit comme pour en aspirer la fraîcheur.

La nuit qui suivit la rentrée triomphale du Pharaon, Tahoser se sentit si malheureuse, si incapable de vivre qu’elle ne voulut pas du moins mourir sans avoir tenté un suprême effort.

Elle s’enveloppa d’une draperie d’étoffe commune, ne garda qu’un bracelet de bois odorant, tourna une gaze rayée autour de sa tête et, à la première lueur du jour, sans que Nofré, qui rêvait du bel Ahmosis, l’entendît, elle sortit de sa chambre, traversa le jardin, tira les verrous de la porte d’eau, s’avança vers le quai, éveilla un rameur qui dormait au fond de sa nacelle de papyrus, et se fit passer à l’autre rive du fleuve.

Chancelante et mettant sa petite main sur son cœur pour en comprimer les battements, elle s’avança vers le pavillon de Poëri.