Page:Gautier - Le Roman de la momie, Fasquelle, 1899.djvu/174

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sommeil descende avec l’oubli sur mes paupières. »

Les yeux de Poëri, fixés d’abord sur Tahoser, se fermèrent bientôt à demi, puis tout à fait. La jeune fille continuait à faire bourdonner les cordes de la mandore, et répétait d’une voix de plus en plus basse le refrain de sa chanson. Poëri dormait ; elle s’arrêta, et se mit à l’éventer avec un éventail de feuilles de palmier jeté sur la table.

Poëri était beau, et le sommeil donnait à ses traits purs une ineffable expression de langueur et de tendresse ; ses longs cils abaissés sur ses joues semblaient lui voiler quelque vision céleste, et ses belles lèvres rouges à demi ouvertes frémissaient, comme si elles eussent adressé de muettes paroles à un être invisible.

Après une longue contemplation, enhardie par le silence et la solitude, Tahoser, éperdue, se pencha sur le front du dormeur, retenant son souffle, pressant son cœur de sa main, et y posa un baiser peureux, furtif, ailé ; puis elle se releva toute honteuse et toute rougissante.

Le dormeur avait senti vaguement, à travers son rêve, les lèvres de Tahoser ; il poussa un soupir et dit en hébreu : « Ô Ra’hel, bien-aimée Ra’hel ! »