Page:Gautier - Le Roman de la momie, Fasquelle, 1899.djvu/268

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len- été aussi indifférentes que celles-là, n’ont jamais été entre mes bras que des fantômes vains, que des formes parfumées et gracieuses, que des êtres d’une autre race, auxquels ma nature ne pouvait s’associer, pas plus que le léopard ne peut s’unir à la gazelle, l’habitant des airs à l’habitant des eaux ; et je pensais que, placé par les dieux en dehors et au-dessus des mortels, je ne devais partager ni leurs douleurs ni leurs joies. Un immense ennui, pareil à celui qu’éprouvent sans doute les momies qui, emmaillotées de bandelettes, attendent dans leurs cercueils, au fond des hypogées, que leur âme ait accompli le cercle des migrations, s’était emparé de moi sur mon trône, où souvent je restais les mains sur mes genoux comme un colosse de granit, songeant à l’impossible, à l’infini, à l’éternel. Bien des fois j’ai pensé à lever le voile d’Isis, au risque de tomber foudroyé aux pieds de la déesse. « Peut-être, » me disais-je, « cette figure mystérieuse est-elle la figure que je rêve, celle qui doit m’inspirer de l’amour. Si la terre me refuse le bonheur, j’escaladerai le ciel… » Mais je t’ai aperçue ; j’ai éprouvé un sentiment bizarre et nouveau ; j’ai compris qu’il existait en dehors de moi un être nécessaire, impérieux, fatal