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le second rang du collier

une sorte de pressentiment, dans ce mouvement de colère, dans ma promptitude à défendre ce Richard Wagner, qui devait m’inspirer un jour un tel enthousiasme, et dont j’entendais le nom, ce soir-là, pour la première fois.

Dans la voiture, ma mère nous raconta la terrible soirée. Elle était outrée de cette cabale, abasourdie encore du tumulte. Quant à la musique, elle n’en pouvait rien dire, pour la bonne raison qu’il avait été impossible d’en rien percevoir.

Théophile Gautier alors nous révéla un fait extraordinaire : c’est qu’il connaissait parfaitement le Tannhäuser ! Quelques années auparavant, assistant par hasard à une représentation au théâtre de Wiesbaden, et frappé par la grandeur de l’œuvre, il avait écrit sur elle un grand feuilleton, qui avait paru dans le Moniteur Universel.

— C’est moi qui en ai parlé le premier à Paris ! disait-il, non sans orgueil.

Et, quelque temps après, il nous montra cet article daté de 1857 :

Richard Wagner est, pour ainsi dire, inconnu en France, quoique son nom ait été agité souvent dans des polémiques violentes ; mais sa musique n’a pas franchi le Rhin ; peut-être ne le franchira-t-elle pas de si tôt, car elle est trop allemande, même pour beaucoup d’Allemands.

Nous avions une grande curiosité de connaître ce compositeur, génie sublime pour les uns, maniaque délirant pour les autres, — un dieu, — un âne, — pas de milieu. D’après les appréciations opposées entre elles que nous avions lues, nous nous étions imaginé un Wagner tout différent du Wa-