Page:Gautier - Le Second Rang du Collier.djvu/181

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
173
le second rang du collier

paraissait dans un état d’excitation et d’agitation extraordinaire.

Je ne savais rien de cette grande bataille engagée autour de l’œuvre nouvelle, et je ne comprenais pas la cause de cette effervescence.

Un personnage, d’une physionomie très originale et très frappante, s’arrêta pour saluer mon père. Il était petit, maigre, avec des joues osseuses, un nez en bec d’aigle, des yeux vifs sous un front large, l’air ravagé et passionné. Il assistait à la répétition qui avait soulevé un tumulte indescriptible : on avait sifflé a outrance. Cela lui causait une joie féroce et il parlait avec une violence haineuse. Je le regardai, de ces yeux écarquillés et fixes, que j’avais toujours quand quelque chose m’étonnait. Je ne sais quel sentiment me poussa à sortir tout à coup du mutisme et de la réserve que mon âge m’imposait, pour m’écrier, avec une impertinence incroyable :

— On voit bien que vous parlez d’un confrère !… Et il s’agit, sans doute, d’un chef-d’œuvre !

Mon père, ébahi, me gronda, tout haut, mais en riant, tout bas.

— Qui est-ce ? demandai-je quand le monsieur fut parti.

— Hector Berlioz.

J’ai beaucoup admiré, plus tard, ce grand artiste, qui, lui aussi, était méconnu, bafoué ; mais je n’ai jamais oublié cet incident, et je voulus voir