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le second rang du collier

il montrait les pages déjà remplies de cette jolie écriture si nette et si fine.

— Tu vois, disait-il, comme c’est bien écrit !… Remarque que je boucle les é, malgré la petitesse des lettres !… Et pas de ratures ; au bout de ma plume la phrase arrive retouchée déjà, choisie et définitive : c’est dans ma cervelle que les ratures sont faites.

Lorsqu’il composait des vers, Théophile Gautier rôdait du haut en bas de la maison, lentement d’un air désœuvré ; mais on l’entendait marmonner par instants : l’on savait à quoi s’en tenir et l’on n’avait pas l’air de savoir, car, par une sorte de pudeur, il voulait garder le secret de son effort, tant que le poème n’était pas fini. Quand il était las de se promener, il s’asseyait sur le tapis, au coin de la cheminée de sa chambre, s’étayait de coussins et oubliait son cigare, toujours éteint, toujours rallumé. Sur des bouts de papier, des dos de lettres, des coins d’enveloppes, il écrivait ses premiers brouillons, mais rarement le jour s’achevait, sans qu’il nous appelât pour nous montrer, soigneusement recopié, le poème terminé.

J’ai vu naître ainsi le Souper des Armures, la Montre, la Source, Ce que disent les Hirondelles, le Château du Souvenir, beaucoup d’autres poésies, pas assez, hélas ! Car la vie harcelait toujours, le loisir manquait, et, au lieu de rêver dans le parterre des roses, il fallait cultiver le potager.