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le second rang du collier

il ausculte, pour ainsi dire, le cœur de sa pupille, cherche à éveiller sa jalousie, et reconnaît, avec désespoir, qu’elle ne voit en lui rien autre chose qu’un frère très chéri…

Ne voulant pas imposer son amour, à celle qui lui doit tout, se jugeant incapable de guérir et de vivre près de la jeune fille en dissimulant sa souffrance, Georges assure l’avenir de Lavinia par une dot magnifique et s’expatrie en la laissant libre d’épouser, pendant son absence, l’homme qui aura su lui plaire. Il change de nom, se fait explorateur, tueur de lions, s’enfonce dans les solitudes vierges et terribles, brave les dangers, cherche la mort. Peu à peu, le bruit de ses exploits se répand, il devient un héros dont les journaux racontent les hardis voyages, ses combats contre les bêtes féroces. Lavinia, au milieu de ses soupirants qu’elle nargue, suit avec un intérêt croissant le récit des aventures de cet inconnu, l’admire passionnément, s’éprend de lui. Sachant un jour sa présence à Paris, elle exige qu’il lui soit amené : quand Georges, tout changé, pâlissant d’émotion sous son hâle, reparaît, Lavinia, avec un cri d’amour, se jette défaillante dans ses bras. Ce cœur qu’il n’a pu atteindre quand il était près de lui, il l’a conquis en s’enfuyant au bout du monde : — capricieux et libre comme le vent, « l’amour souffle où il veut ».