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le second rang du collier

— Un chien !… un chien enragé… peut-être ! s’écria mon père, très effrayé. Il t’a mordu ?

— Non, non, rassure-toi…

— C’est heureux, car j’allais faire allumer des braises, rougir des fers, et te cautériser, de force, jusqu’à l’os.

— Merci !… Quelques fers à repasser suffiront, pour cautériser mon paletot.

— Mais quelles raisons ce chien avait-il de t’en vouloir ? Les animaux sont logiques et n’agissent pas sans raisons, comme les bipèdes. Avais-tu escaladé les clôtures confiées à sa garde, pour enlever quelque bourgeoise ?

— Cet animal était dans son droit : je l’avais offensé, en lui marchant sur la queue, exprès… Mais je suis très humilié, parlons d’autre chose.

Décidément, je ne saurai jamais pour quelle raison ce grand poète s’était acharné à jouer un mauvais tour à ce pauvre chien des rues. Peut-être ne le savait-il pas lui-même ; ou seulement avait-il cherché à se ménager une entrée originale, en racontant son aventure : il aimait beaucoup n’être pas ordinaire et causer de l’étonnement.

Je savais de lui plusieurs histoires assez remarquables. Banville racontait, entre autres, qu’il avait un jour rencontré Baudelaire dans la rue ; celui-ci, après quelques instants de causerie, s’était interrompu pour lui poser cette question :