Page:Gautier - Les Deux Etoiles.djvu/137

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infâme, il lui fallait attendre son sort en silence. Fatigué des événements et des émotions de cette journée terrible, malgré son désir de rester éveillé pour observer les choses qui allaient se passer, il sentait malgré lui ses paupières s’apesantir. Quoique son esprit veillât, son corps dormait.

Pendant ce temps, la brise avait sauté, et le capitaine Peppercul, en train de déguster à petites gorgées un gallon plein de rhum pour se préserver du brouillard humide, interrompit cette douce occupation, et, sur l’avis de l’inconnu au manteau noir, qui avait observé les rhumbs du vent avec la sagacité d’un homme expérimenté aux choses de la mer, monta sur le pont en chancelant un peu. Comme le brouillard était extrêmement humide ce soir-là, en mortel plein de prudence, il s’était extrêmement prémuni. Mais le digne capitaine Peppercul n’était pas un gaillard à péricliter pour une mesure de spiritueux, et deux ou trois bouffées d’air frais lui eurent bientôt rendu tout son sang-froid.

— Capitaine, la marée nous favorise, le vent a changé, il faut mettre le cap sur la pleine mer ; notre expédition en Angleterre est finie, dit l’homme au manteau, en voyant paraître Peppercul.

— Entendre, c’est obéir, répondit celui-ci en parodiant à son insu la formule du dévoûment oriental ; car l’homme au manteau paraissait lui inspirer un respect mélangé de crainte, quoique de sa nature le capitaine Peppercul ne fût ni servile ni poltron.