Page:Gautier - Les Deux Etoiles.djvu/152

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d’Edith la déshabillaient et lui passaient son peignoir de nuit, il sentit craquer ce papier dans sa poche, et par un mouvement machinal il le décacheta et le lut.

Au même moment on vint lui dire qu’il pouvait entrer dans la chambre d’Edith. — Il se leva tout d’une pièce comme la statue du Commandeur interpellée par Leporello pour le souper de don Juan. Son poing crispé froissait le papier fatal, une pâleur mortelle couvrait son visage où luisaient dans un orbe ensanglanté ses prunelles d’un bleu dur, et ses talons tombaient pesamment sur le parquet comme des talons de marbre ; alourdi sous le poids d’un malheur écrasant, il marquait ses pas comme l’apparition sculptée.

Edith, protégée par l’ombre transparente des rideaux, cachait à demi sa tête dans son oreiller garni de dentelle. La craintive rougeur de la vierge attendant l’époux ne colorait pas ses joues abandonnées par le sang et d’une blancheur telle, qu’on pouvait à peine les distinguer de la taie de batiste sur laquelle elles reposaient.

Elle flottait dans une perplexité terrible ; la conscience de sa faute l’agitait, et elle ne savait quelle résolution prendre. Vingt fois l’aveu était venu sur le bord de ses lèvres sans pouvoir les franchir. Rien n’amenait cette confidence étrange. Cette liaison improbable, résultat d’une fascination presque surnaturelle, était restée profondément ignorée : tout le monde autour d’Edith avait une confiance si sereine dans sa pureté, que parfois elle-même doutait de l’avoir perdue. Aucune ou-