Page:Gautier - Les Deux Etoiles.djvu/165

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Qui lui eût dit le matin que le soir il serait meurtrier, lui eût produit l’effet d’un fou, et cependant il venait d’immoler impitoyablement une femme sans défense ; une femme dont il avait juré à la face du ciel et des hommes d’être le protecteur. La terrible exécution qu’il avait faite, bien que juste d’après les lois du point d’honneur, l’épouvantait et lui apparaissait dans son horrible gravité, et d’ailleurs sa vengeance n’eût-elle pas dû commencer par le complice d’Edith ? Cédant à la colère aveugle, il s’était ôté, en tuant la coupable, tout moyen de remonter à la source du crime. C’était l’infâme séducteur dont il aurait dû arracher le nom à Edith et qu’il eût eu plaisir à torturer lentement et avec la plus ingénieuse barbarie, car une mort prompte n’eût pas assouvi sa vengeance.

Puis, songeant aux liens qui l’attachaient à l’association mystérieuse dont nos lecteurs ont pu voir la formule de serment, il s’indignait de cette autorité revendiquée après plusieurs années de silence, et, bien que le serment ne lui eût pas été extorqué, il sentait son indépendance se révolter contre cette prétention de disposer de lui. — Il avait juré, il est vrai, mais dans l’enthousiasme de la jeunesse, de mettre toutes ses forces et toute son intelligence au service de l’idée commune ; mais fallait-il pour cela abjurer les sentiments de son cœur, cesser d’être homme et devenir comme un bâton dans la main cachée ?

Il lui semblait saisir une coïncidence étrange entre le déshonneur d’Edith et ce rappel au serment prononcé. N’avait-on pas voulu, par ce coup