Page:Gautier - Les Deux Etoiles.djvu/18

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courtois, je vous laisse pénétrer dans cet hôtel du Lion-Rouge, connu, j’ose le dire, du monde entier ; je vous amène près de ce comptoir, qui distribue des boissons rafraîchissantes, toniques ou spiritueuses, au goût des personnes ; je vous demande avec politesse ce qu’il faut servir à votre honneur, et vous me répondez par des fariboles, des billevesées : « Une calèche et quatre chevaux », est une phrase qui ne s’adapte nullement à ma question, et montre de votre part une intention formelle de m’insulter.

— Ta, ta, maître Geordie, comme vous dégoisez ! Ne vous échauffez pas. Tout-à-l’heure vous n’étiez que cramoisi, vous êtes passé au violet et vous allez devenir bleu ; calmez-vous ; je n’eus jamais l’intention d’offenser un particulier aussi respectable que vous paraissez l’être. J’ai parlé sérieusement. J’ai en effet besoin d’une voiture, calèche, berline, landau, chaise de poste, il n’importe, pourvu qu’elle soit solide et roule bien. Avec la voiture, il me faut des chevaux, et, comme j’aime aller vite, j’en demande quatre et des meilleurs, qui aient mangé l’avoine dans votre écurie. Il n’y a là rien de bien étonnant.

Ce raisonnement parut assez plausible à maître Geordie ; cependant les vêtements et la mine de son interlocuteur lui causaient encore une méfiance que celui-ci devina sans doute, car il plongea sa main dans une de ses poches et en tira une bourse assez rondelette qu’il fit sauter en l’air et qui, en retombant, rendit un son métallique où l’oreille exercée de Geordie reconnut un accord parfait de guinées, de souverains et de demi-sou-