Page:Gautier - Les Deux Etoiles.djvu/184

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Les sons de cette langue qu’il avait parlée aux Indes dès son enfance et qu’il avait négligée depuis qu’il habitait l’Europe ne présentèrent d’abord à ses oreilles qu’un murmure mélodieusement rhythmé, et il lui fallut un peu de temps pour en saisir le sens : il avait compris l’air avant les paroles.

— Priyamvada, dit-il lentement et comme pour se donner le temps de se ressouvenir, Priyamvada,… celle dont le langage a la douceur du miel… Non, je ne me la rappelle pas… pourtant il me semble… Oui, c’est cela : j’ai connu autrefois une enfant, une petite fille.

— Dix ans écoulés ont fait une jeune fille de l’enfant née de la sœur de votre mère.

— Ah ! c’est toi à qui je donnais pour jouer de petits éléphants d’ivoire, des tigres de bois sculptés et des paons de terre cuite peints de mille couleurs. Priyamvada, ma cousine au teint doré, j’avais un peu oublié cette parenté sauvage.

— Je ne l’ai pas oubliée, moi, et j’honore en vous le dernier de cette race de rois qui ont eu des dieux pour ancêtres et se sont assis sur les nuages avant de s’asseoir sur des trônes…

— Quoique votre père fût européen, ajouta Dakcha, une seule goutte de ce sang divin transmise par votre mère vous fait le fils de ces dynasties qui vivaient et florissaient des siècles avant que votre froide Europe fût sortie du chaos ou émergée des eaux diluviales.

— Vous êtes l’espoir de tout un peuple, ajouta Priyamvada de sa voix musicale et caressante, avec un accent d’indicible flatterie.