Page:Gautier - Les Deux Etoiles.djvu/183

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péenne. Ses souvenirs d’enfance revenaient en foule ; il voyait comme dans un mirage s’élever à l’horizon les cimes neigeuses de l’Himalaya, les pagodes arrondir leurs dômes, l’asoca épanouir ses fleurs orangées, et le Malini bercer dans ses eaux bleues des couples de cygnes en amour. Toute la poésie du passé renaissait dans cette rétrospection évocatrice.

L’architecture de la salle, les parfums de la madhavi, le costume du vieil Indou, l’éclat éblouissant de la jeune fille, éveillaient en lui des réminiscences endormies : la figure même de la belle créature affaissée à ses genoux dans une attitude d’adoration amoureuse ne lui était pas complétement inconnue, quoiqu’il fut sûr de la voir pour la première fois : où s’étaient-ils rencontrés ? dans le monde des rêves ou dans quelque incarnation antérieure ? c’est ce qu’il n’aurait su dire. Pourtant un essaim confus de pensées bourdonnait autour de sa tête, et il lui semblait avoir vécu longtemps avec celle qu’il regardait depuis quelques minutes à peine.

Le vieux fantôme à figure jaune et à robe blanche paraissait avoir compté sur cet effet, et il fixait avec une persistance étrange ses yeux flamboyants sur Volmerange pour suivre ses mouvements intérieurs. Apparemment le comte ne manifesta pas assez vite ses émotions au gré de Dakcha (c’est ainsi que se nommait l’Indien), car il fit signe à la jeune fille de prendre la parole.

— Cher seigneur, dit celle-ci, dans cet idiome indostani plein de voyelles et doux comme de la musique, ne vous souvient-il plus de Priyamvada ?