Page:Gautier - Les Deux Etoiles.djvu/199

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lui prouver ? la seule qui eût pu dire la vérité roulait vers la mer, du moins Volmerange le croyait, emportée par les flots bourbeux de la Tamise ; et, d’ailleurs, où trouver Dolfos, qu’il n’avait pas vu depuis deux ou trois ans dont il ignorait complètement le genre de vie, car cette nature froide et souterraine lui avait toujours été antipathique ? Ils s’étaient rencontrés quelquefois et leurs rapports s’étaient maintenus dans cette politique stricte qui touche à l’insulte. Quelques affaires de femmes, où Dolfos, en rivalité avec Volmerange, n’avait pas eu le dessus, semblaient avoir laissé dans l’âme du premier une rancune profonde qu’il cachait soigneusement, mais qui avait fait pulluler les vipères dans ce cœur malsain.

Une autre incertitude torturait Volmerange. Dolfos avait peut-être agi d’après les ordres de la junte, et alors, appuyé par cette puissante association, il pourrait échapper au châtiment qu’il méritait ; un vaisseau l’emportait sans doute vers un pays inconnu et le dérobait pour toujours à ses recherches.

Il en était là de ses raisonnements, lorsque tout à coup, par un de ces hasards vrais dans la vie, invraisemblables dans les romans, Dolfos, tournant un angle de rue, se rencontra face à face avec lui.

À l’aspect de Volmerange, Dolfos comprit qu’il savait tout : il eut peur à la vue de ce visage livide où flamboyaient deux yeux pleins d’éclairs, et il se rejeta en arrière par un mouvement brusque ; mais la main du comte s’abattit sur son bras comme un crampon de fer et le fixa sur la place.