Page:Gautier - Les Deux Etoiles.djvu/22

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tion profonde à laquelle succéda une expiration modulée en soupir.

On eût cru qu’il allait céder à un vin dont il appréciait si bien le mérite, et Geordie inclina le goulot de la bouteille sur le bord du second verre ; mais Jack était un gaillard bien trempé et d’une volonté ferme. Il reprit possession de lui-même en un clin-d’œil, et, portant à la figure du tavernier la montre qui marquait quatorze minutes et demie, il étendit sa large main découpée en éclanche de mouton d’un air de menace railleuse.

— Il y a encore trente secondes, cria Geordie d’une voix étranglée et tâchant de changer en ligne concave la ligne convexe de sa panse, chose difficile, pour ne pas dire impossible.

L’aiguille allait toucher la quinzième minute : déjà l’impitoyable Jack balançait sa main pour lui donner plus de volée, et Geordie défendait son embonpoint par des croisements de bras plus compliqués que ceux de la Vénus pudique.

Par bonheur, le claquement de fouet de Little-John et le roulement de la berline vert-olive qui sortait de la cour vinrent mettre fin à cette situation embarrassante et pathétique. Jack laissa tomber sa main, Geordie se redressa.

— J’avais dit quinze minutes, exclama Geordie avec l’enivrement de la ponctualité satisfaite.

— Votre bedaine l’a échappé, dit Jack en montant dans la berline et en s’asseyant sans la moin-