Page:Gautier - Les Deux Etoiles.djvu/26

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deux autres focs déjà tendus et gonflés par la brise.

Regardez donc, Mackgill, dit Jack en passant la lunette à son compagnon ; il paraît qu’ils ne veulent pas perdre un souffle ; avec tout ce chanvre dehors, le diable m’emporte s’il ne file pas quinze nœuds à l’heure.

Poussé par une fraîche brise, le navire avançait si rapidement qu’au bout de quelques minutes il n’y avait plus besoin de la lunette pour en discerner les détails.

— Ah ça, ils sont donc enragés, ou le capitaine a bu un muids de punch, s’écrièrent à la fois Jack et Mackgill, en voyant les bonnettes basses s’allonger avec les boute-hors à côté des voiles, et tremper leurs extrémités dans la vague comme des ailes de goëland.

— S’ils continuent, dit Mackgill, ils vont sortir de l’eau et voler en l’air, ou chavirer la quille en dessous. Oh ! le brave brick ! il tient bon ; pas un mât ne fléchit, pas un cordage ne craque, poursuivit-il avec admiration. Jamais contrebandier ayant à ses trousses un bâtiment de l’État, jamais navire marchand chargé d’or et de cochenille, pourchassé par un corsaire, ne décampa d’un train pareil. On dirait qu’il y va de leur vie ; et pourtant je ne vois pas d’autre voile à l’horizon.

— Le capitaine Peppercul connaît son affaire et s’il donne de l’éperon à son navire, c’est qu’il est pressé ou payé grassement ; il ne risquerait pas pour rien de se coiffer avec ses toiles et de boire un coup à la grande tasse salée de l’Océan. Il n’aime pas assez l’eau pour cela, dit senten-