Page:Gautier - Les Deux Etoiles.djvu/271

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de Calcutta à Londres, et enfin ils se décidèrent à monter sur le troisième, fin voilier, en bois de teck, doublé, cloué et chevillé en cuivre, qui les mit en six semaines à Cadix, d’où ils continuèrent leur voyage par terre, visitant l’Andalousie, Séville, Grenade, Cordoue, sous cette commode dénomination de M. et Mme Smith. Tout le monde les croyait mariés. Quelques mauvaises langues, en les voyant si unis, prétendaient que c’était deux jeunes amants qui promenaient la lune de miel de leur bonheur. Leurs oreillers seuls savaient la vérité ; ils étaient éperduement amoureux, et l’ange de la pudeur eût pu assister à leur vie.

Seulement ils ne se dépêchaient guère de revenir, et de mosquée en cathédrale, d’alcazar en palais, de tertulia en course de taureaux, ils mirent quatre mois à traverser l’Espagne, et arrivèrent à Paris juste pour la saison d’hiver.

Quand ils n’eurent plus de prétextes plausibles à se donner pour tarder encore, comme ils étaient très consciencieux, un soir ils se dirent : Ne serait-il pas temps d’aller à Londres et de voir si nous sommes aimés et pardonnés, ou remplacés et maudits ?

L’idée de revoir ce qu’ils prétendaient aimer le mieux au monde les rendit si tristes, qu’ils se sentirent près de fondre en larmes et de se jeter dans les bras l’un de l’autre pour ne plus se quitter. Mais la position devenait embarrassante, et sir Benedict Arundell ne pouvait plus toujours s’appeler M. Smith, et lady Edith Harley, comtesse de Volmerange, Mme Smith, nom tout à fait prosaïque et vulgaire.