Page:Gautier - Les Deux Etoiles.djvu/270

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

be du Titan, écouter le ruisseau bruire à l’angle de la pierre funèbre et voir le vent emporter les feuilles pâles de l’arbre mélancolique, c’était à eux-mêmes qu’ils songeaient. Une boucle de cheveux se déroulant sur le col d’Edith, en faisant ressortir par son vigoureux ton châtain la pâleur rose de sa joue, distrayait Benedict des vastes pensées que doit inspirer la tombe du plus illustre des capitaines, et le regard admiratif de Benedict séchait promptement dans les beaux yeux d’Edith les larmes qu’y faisait naître le souvenir du grand captif.

Ils avaient d’abord pensé à écrire en Angleterre pour prévenir de leur retour ; mais ils se ravisèrent, et se dirent qu’il valait mieux tomber inopinément au milieu de la douleur générale. C’était une expérience philosophique à faire : on jugerait ainsi de la force et de la sincérité des regrets. On verrait si la place laissée vide était déjà remplie, ou si la fidélité avait été gardée en Europe comme en Afrique : Amabel devait être en pleurs, Volmerange dévoré de remords. Cependant, s’il n’en était pas ainsi ? Si miss Vyvyan, choquée de l’inexplicable disparition de Benedict, lui avait retiré son cœur ! et si Volmerange n’éprouvait pas le moindre regret d’avoir laissé choir sa femme dans la Tamise ! quel parti prendre ? Nos deux innocents tartuffes n’osaient pas convenir, dans leur for intérieur, qu’ils en seraient enchantés, et que le parti à prendre serait de continuer à s’aimer en se l’avouant, comme ils l’avaient fait depuis deux mois sans se l’avouer.

Ils laissèrent passer un ou deux vaisseaux allant