Page:Gautier - Les Deux Etoiles.djvu/281

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dre s’étaient épris de leurs contraires. Au plan rationnel de ces existences, un pouvoir inconnu avait substitué un scénario fantasque, extravagant, décousu ; l’unité de lieu et d’action avait été violée par ce grand romantique qui arrange les drames humains, et qu’on nomme l’imprévu.

Lady Braybrooke, qui avait à cœur de voir Amabel mariée, après ce qu’elle appelait l’affront de Benedict, ne cessait de vanter Volmerange à sa nièce ; ces éloges étaient naturellement accompagnés d’anathèmes contre le premier fiancé. Rien de formel n’avait encore été prononcé, et cependant les cœurs s’étaient entendus. Volmerange était soupirant en pied ; il donnait le bras à lady Eleanor Braybrooke, et lorsque la tante et la nièce allaient au théâtre, il avait toujours une place au fond de la loge derrière miss Amabel ; et, il faut l’avouer, les plus belles décorations, les scènes les plus pathétiques avaient beaucoup de peine à faire lever ses yeux, occupés à suivre les lignes onduleuses du col d’Amabel et de ses blanches épaules ; aussi, quoiqu’il allât souvent au théâtre, personne n’était moins au fait du répertoire, et lady Eleanor Braybrooke s’étonnait quelquefois qu’un jeune homme si intelligent profitât si peu des belles choses qu’il paraissait écouter avec tant d’attention.

Amabel avait bien de temps à autre de vagues appréhensions que Benedict ne reparût subitement et ne vînt lui reprocher sa trahison, car aucune femme n’admet qu’on puisse lui être infidèle, bien qu’elle ne manque jamais d’excellentes raisons pour justifier de son côté une pareille faute : mais