Page:Gautier - Les Deux Etoiles.djvu/297

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a fait les juifs abominables sur toute la terre. À cette idée j’ai sacrifié ma vie, car quel but peut-on se proposer qui soit plus grand, plus saint que la gloire de la famille humaine dont on fait partie ?

» Demain, Prométhée, détaché de sa croix, voguera sur un vaisseau qui l’attend et va le mener vers un nouvel empire et des destinées plus vastes peut-être que celles qui ont étonné le monde, ou bien Dieu aura jugé si j’empiète sur les attributions de la Providence.

» Ce 4 mai 1821, en vue de Sainte-Hélène. »

Le capitaine resta longtemps rêveur devant ce parchemin, regardant ces caractères dont l’encre avait jauni. Il relut plusieurs fois cette lettre, si longtemps ballottée dans la prison de verre échouée ensuite sur un îlot désert, et probablement la seule trace qui restât d’une noble idée, d’une forte résolution et d’un grand courage ; en cherchant dans ses souvenirs, il se rappela avoir vu quelquefois sir Arthur Sidney, soit à Londres, soit à Calcutta.

Quand le navire passa devant Sainte-Hélène, le capitaine salua de loin la tombe du grand homme et se dit : Dieu n’a pas donné raison à Sidney, puisque l’empereur dort sous le saule et que j’ai cette lettre dans mon portefeuille. Sir Arthur doit être noyé ; c’est fâcheux, car je lui aurais donné une poignée de main franche et loyale, et j’aurais aimé l’avoir assis en face de moi de l’autre côté d’une table dans la cabine de la Belle-Jenny.

La Belle-Jenny, car c’était elle, avait été vendue à un marchand de Calcutta par le capitaine Peppercul à qui Sidney avait-dit, s’il ne reparaissait pas au bout de cinq jours, de disposer du navire à