Page:Gautier - Les Deux Etoiles.djvu/34

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mer Rouge, je trouve la peste, et l’isthme de Suez barré par toutes sortes de quarantaines. J’écris, sur la bosse d’un chameau, au brave Mackgill une lettre qui a dû lui arriver déchiquetée en barbe d’écrevisse, parfumée de vinaigre et de fumigations aromatiques, tatouée de vingt couleurs comme une peau de Caraïbe, et transmise avec une respectueuse terreur par les pincettes de toutes les santés. Au risque de me faire tirer des coups de fusil, je franchis les obstacles des quarantaines, car la peste avait peur du choléra. Étrange délicatesse ! Heureusement, j’ai trouvé, flânant le long des côtes, non loin d’Alexandrie, le brave capitaine Peppercul, homme sans préjugés contagionistes, qui a bien voulu, moyennant une somme énorme, me prendre à son bord et m’amener en Angleterre en évitant avec soin les ports à lazaret. — Jamais je n’ai été plus nerveux que dans ce maudit voyage. Moi, si calme d’ordinaire, j’étais comme une petite maîtresse qui a ses vapeurs parce que son mari lui refuse quelque chose de déraisonnable. Enfin, me voilà bientôt au terme. Ma lettre, arrivée un jour avant moi, a dû donner le temps de tout préparer : il est neuf heures ; dans deux heures, je serai à Londres.

— Eh bien ! postillon, dit-il comme pour résumer son monologue en baissant la glace, il me semble que nous faiblissons.

— Mylord, à moins d’atteler les griffons dont parle l’Écriture, ou de conduire le char de feu d’Élie, il n’est pas humainement possible d’augmenter ce train : je défie quelque postillon que ce soit, fût-il payé six guinées, d’extraire à coups de