Page:Gautier - Les Deux Etoiles.djvu/37

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’écurie. Il défaisait les boucles sans hésiter, et se retrouvait à merveille dans les complications des harnais embrouillés par les efforts désespérés du pauvre Black. Le postillon, qui avait été d’abord scandalisé du peu de sensibilité de l’inconnu à l’endroit du cheval mort, se sentit pénétré pour lui d’une sincère admiration et lui accorda son estime de palefrenier, la chose dont il était le plus avare au monde.

— Quel dommage que vous soyez un lord, dit-il à l’étranger, vous auriez joliment gagné votre vie dans notre état ; mais peut-être vaut-il mieux pour vous être lord. Pauvre Black, continua-t-il en lui étant la bride, qui aurait dit ce matin que tu mangeais ta dernière mesure d’avoine ? Ce que c’est que de nous !

Telle fut l’oraison funèbre de Black ; à défaut d’éloquence, l’émotion ne manquait pas à l’orateur ; une lueur humide brillait dans la prunelle de Little-John, et, s’il n’eut porté à temps à ses paupières le revers usé de sa manche, une larme eût peut-être coulé entre sa joue vergetée par le froid et son nez rougi par le vin.

L’âme de Black, s’il survit quelque chose des animaux, dut être satisfaite et pardonner à Little-John les coups de lanière qu’il avait pu appliquer injustement au corps qu’elle habitait, car il n’était guère prodigue de marques d’attendrissement, et c’était bien le postillon le plus stoïque qui eût jamais lustré le fond d’une culotte de peau de basane sur le troussequin d’une selle.

— En route ! s’écria l’étranger d’un ton brusque.