Page:Gautier - Les Deux Etoiles.djvu/50

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nir des lieux. Des têtes, du profil le plus bizarre, tenant des pipes entre leurs dents, y faisaient la grimace à des lions couronnés et autres bêtes apocalyptiques ; des vaisseaux, plus fantastiques que ceux de Della-Bella, s’y dandinaient sur des mers impossibles. Tout cela était tracé à grands traits, et sans beaucoup de respect de la figure voisine ; des dates, des chiffres et des lettres d’une calligraphie hasardée, compliquaient cet effroyable grimoire, où les seuls mots lisibles étaient : paresse, vice et crime.

L’ornementation de la salle n’avait cependant pas été laissée tout entière à ces fantaisistes de rencontre ; un art plus cultivé se faisait sentir dans les pancartes gravées sur bois et colorées, représentant le chandelier d’or aux sept branches mystiques, la chaste Suzanne et les vieillards, le portrait de Georges III, le retour de l’enfant prodigue, les principales poses de la boxe, les exploits de Jack Sheppard et de Jonathan Wild, ces Cid et ces Bernard de Carpio du Romancero picaresque, des combats de coqs et des prises de boules-dogues célèbres, des courses d’Epsom et de New-Market, etc., etc.

Une atmosphère chaude, étouffante, chargée de miasmes de charbon de terre, de fumée de tabac et de l’âcre parfum du wisky, flottait dans cette chambre et prouvait, de la part de ceux qui la pouvaient soutenir, des nerfs olfactifs bien robustes.

Pourtant, les trois ou quatre individus qui s’y tenaient ne semblaient pas en souffrir. Au contraire, une sensation de grossier bien-être épanouissait leurs faces plombées et communes.