Page:Gautier - Les Deux Etoiles.djvu/51

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Ils portaient des habits noirs, des gilets de satin et des chapeaux ronds ; mais, avant d’arriver à eux, ces habits, partis peut-être du beau Brummel, avaient dû accomplir bien des pèlerinages et subir bien des mésaventures. Ces vêtements délabrés, d’un drap jadis soyeux, d’une coupe dont l’élégance se devinait encore, et qui, dans leur dégradation, gardaient quelque chose du pli que leur avaient fait prendre leurs premiers et fashionables possesseurs, formaient une caricature tristement plaisante, un muet poème satirique plein de raillerie et de dérision.

Un seul d’entr’eux ne portait pas ce costume mondainement misérable. Une chemise de laine rouge, une cotte de toile goudronnée, un chapeau de cuir ayant pour jugulaire une ficelle, tel était son habillement, celui d’un simple matelot.

Une expression d’audace relevait ce que ses traits pouvaient avoir de trivial et de dur, et, dans ses yeux d’un bleu clair et froid comme celui des océans polaires, brillait un rayon d’intelligence.

Les autres semblaient, du reste, lui parler avec une sorte de déférence, quoiqu’il fût accoudé à la même table et se versât des rasades du même pot de double bière.

— Eh bien ! Saunders, dit l’un des hommes en habit noir au matelot en vareuse rouge, l’heure approche où le gentleman pour qui nous devons travailler doit venir.

— Oui, répondit laconiquement Saunders, qui s’occupait, tout en buvant, à pétrir dans le creux de sa main un corps noirâtre pressé entre deux linges.