Page:Gautier - Les Deux Etoiles.djvu/79

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malsaine et vénimeuse qui fait qu’on admire et qu’on est effrayé. L’homme à qui miss Edith venait d’ouvrir cette route condamnée pour tous était joli comme une vipère et charmant comme un tigre. Lui assigner un âge eût été difficile. Son front lisse n’offrait aucune de ces rides, aucun de ces plis au moyen desquels les dates s’écrivent sur la face humaine ; il aurait paru sorti à peine de l’adolescence sans cette froideur glaciale et cette absence de spontanéité, signe d’une longue dissimulation ; ce n’était pas un visage, c’était un masque.

Son vêtement était noir et brun d’une teinte neutre, et, quoique soigné dans un parti pris d’élégance austère, n’attirait l’œil par aucun détail visible et ne laissait dans la mémoire aucune trace.

Il y eut un moment de silence pénible : Edith, embarrassée, semblait attendre que l’inconnu prît la parole ; mais celui-ci ne paraissait pas disposé à lui éviter cette peine. Son attitude était respectueuse plutôt par habitude prise que par déférence réelle, et il laissait tomber d’aplomb sur la jeune fille un regard de maître.

— Vous persistez donc, dit Edith en faisant un effort sur elle-même, à vouloir que je sois la femme de M. de Volmerange ?

— Ce n’est pas à présent que je changerais d’avis ; ce mariage est plus que jamais nécessaire.

— Vous savez cependant qu’il est impossible.

— Si peu impossible que dans deux heures il sera fait.

— Écoutez, Xavier, il est temps encore ; ne me forcez pas à commettre un mensonge devant Dieu et les hommes ; je puis me jeter aux