Page:Gautier - Les Deux Etoiles.djvu/91

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dre ; ils se font des bonheurs absurdes et se créent des malheurs chimériques. Ce qu’il faut dans le mariage, c’est un esprit positif… Sir Alan Braybrooke…

— Mais, ma tante, s’il était tombé victime de quelque guet-apens, si on lui avait tendu quelque piége…

— Allons donc ! un guet-apens à Londres, en plein jour, à vingt-cinq pas d’une file de voitures, devant tout un monde de laquais et de policemen !

— Si Benedict n’est pas revenu, c’est qu’il est mort, répondit Amabel en étouffant un soupir dans son mouchoir, que vint baigner un flot de larmes.

Pendant quelques minutes, le corps de la jeune fille fut agité de soubresauts convulsifs.

— Voyons, voyons, dit Eleanor inquiète du désespoir d’Amabel : de ce qu’un fiancé se fait attendre pour une raison plus ou moins mystérieuse, il ne s’en suit pas de là qu’il n’est plus de ce monde.

— Oh ! j’en suis sûre, je ne le reverrai plus. Mes pressentiments me le disent : il est à jamais perdu pour moi.

— Chimères, billevesées ; est-ce qu’il y a des pressentiments ! Je n’en ai pas, moi. Cela est bon en Écosse, au pays de la seconde vue ; mais à Londres, dans le West-End, on ne prévoit pas l’avenir.

— Cette église avait un air si funèbre ! Un frisson mortel m’a saisie en dépassant le seuil.

— Pur effet des siècles et du charbon de terre, simple fantasmagorie gothique. Si vous vous étiez