Page:Gautier - Les Deux Etoiles.djvu/93

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et désespérée, cet escalier qu’une heure auparavant elle avait descendu la joie au cœur, le sourire aux lèvres, et le bout de ses gants blancs dans la main du bien-aimé.

La surprise de ses femmes fut extrême de la voir rentrer ainsi ; mais les exclamations de lady Braybrooke les eurent bientôt mises au fait, et, bien qu’avec l’extrême réserve de la domesticité anglaise elles ne se permissent aucune question ni aucun commentaire sur le malheur qui venait d’arriver à leur jeune maîtresse, à l’altération de leurs traits, à la manière pleine de précautions dont elles marchaient dans la chambre, de peur d’importuner une si grande et si légitime douleur, on pouvait voir la part qu’elles y prenaient dans l’infériorité de leur sphère.

Miss Amabel s’était jetée anéantie sur un divan, en face de la glace devant laquelle tout à l’heure elle avait mis la dernière main à sa toilette nuptiale. Si les miroirs, malgré leur fidélité inconstante, avaient le moindre sentiment des objets qu’ils reflètent sans en garder aucun, celui-ci eût été étonné et touché de réfléchir si pâle, si défaite et si désespérée la tête qui se dessinait quelques instants auparavant, dans les profondeurs d’acier bruni, si blanche, si fraîche, si rayonnante de bonheur et d’espérance.

Hélas ! les jolies roses-thé avaient perdu leurs nuances charmantes, et c’est à peine si les lèvres gardaient un reflet vermeil presque effacé. La beauté vivante était devenue une beauté morte, et la statue animée de la joie l’ange de la mélancolie pleurant sur un tombeau.