Page:Gautier - Les Roues innocents.djvu/118

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que le sacrifice ne se serait pas accompli : — un de ces raisonnements de condamnés à mort qui espèrent, en allant de la prison à l’échafaud, qu’une révolution, un tremblement de terre, un cataclysme quelconque, viendront les délivrer.

Maintenant l’on s’étonnera peut-être que Calixte, après la déclaration qu’elle avait faite à M. Desprez de n’être jamais qu’à Dalberg, n’eût pas résisté plus obstinément aux volontés paternelles.

Cette foi si vive dans l’amour d’Henri s’était donc éteinte, cet entêtement sublime à croire innocent celui que tout accusait était donc enfin vaincu ! — La beauté d’Amine lui avait-elle donné la certitude d’une trahison ?… Savait-elle la liaison d’Henri avec Florence, et jugeait-elle que, rebuté par les obstacles, Dalberg avait enfin pris son parti ?

C’est ce que nous ne saurions décider. M. Desprez, de plus en plus entiché de Rudolph, avait tant persécuté Calixte, qu’elle avait fini par lui répondre qu’elle consentait à ce mariage, mais qu’elle était sûre que lui, M. Desprez, la supplierait bientôt de ne pas l’accomplir. « Alors je puis, dès aujourd’hui, t’appeler madame la baronne Rudolph, s’écria l’ex-notaire en se frottant les mains, car il n’est pas probable que je change d’avis. — Ton Henri est maintenant amoureux d’une autre créature : quel gaillard, et quand je pense qu’il a failli être mon gendre ! »

Calixte ne répondit rien et retomba dans sa mélancolie sereine, Rudolph ne savait que penser de ce calme, et il s’étonnait, tout en attribuant cet effet à ses mérites, de ce que l’amour que la jeune fille avait eu pour Dalberg se fût si facilement déraciné. Parfois il lui semblait que l’œil de Calixte prenait, en le regardant, une expression étrange, et qu’il y avait une ironie contenue dans son sourire ; de loin en loin, la lueur d’une arrière-pensée colorait d’un éclair