Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/106

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in annum » et le « vingt fois sur le méfier remettez votre ouvrage » ; ce n’est plus cela : on broche en trois semaines un volume qu’on lit en une heure et qu’on oublie en un quart d’heure. Mais tu rimaillais, à ce qu’il me semble, quand tu étais au collège. Tu dois rimailler encore ; c’est une de ces habitudes qui ne se perdent pas plus que celle du tabac, du jeu et des filles.

Ici M. Daniel Jovard rougit virginalement ; Ferdinand, qui s’en aperçut, continua ainsi :

— Je sais bien qu’il est toujours humiliant de s’entendre accuser de poésie, ou tout au moins de versification, et qu’on n’aime pas à voir dévoiler ses turpitudes. Mais, puisque cela est, il faut tirer parti de ta honte et tâcher de la monnoyer en beaux et bons écus. Nous et les catins, nous vivons sur le public, et notre métier a de grands rapports. Notre but commun est de lui pomper son argent par toutes les cajoleries et les mignardises imaginables ; il y a des paillards pudibonds qui ont besoin qu’on les raccroche, et qui passent et repassent vingt fois devant la porte d’un mauvais lieu sans oser y entrer il faut les tirer par la manche et leur dire : Montez. Il y a des lecteurs irrésolus et flottants qui ont besoin d’être relancés chez eux par nos entremetteurs (ce sont les journaux), qui leur vantent la beauté du livre et la nouveauté du genre, et qui les poussent par les épaules dans le lupanar des libraires ; en un mot il faut savoir se faire mousser, et souffler soi-même son ballon…