Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/108

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sous le lustre d’Hernani. Chaque mot de la conversation de Ferdinand avait ouvert de nouvelles perspectives dans son esprit, et, quoiqu’il ne se rendît pas bien compte de ce qu’il voyait à l’horizon, il n’en était pas moins persuadé que c’était le Chanaan poétique, où jusqu’alors il ne lui avait pas été donné d’entrer. Dans la plus grande perplexité d’âme que l’on puisse imaginer, il attendit impatiemment que l’Aurore aux doigts de rose ouvrît les portes de l’Orient ; enfin l’amante de Céphale fit luire un pâle rayon à travers les carreaux jaunes et enfumés de la chambre de notre héros. Pour la première fois de sa vie il était distrait. On servit le déjeuner. Il avala de travers, et jeta d’un seul trait sa tasse de chocolat sur sa côtelette très-sommairement mâchée. Le père et la mère Jovard en furent on ne peut plus étonnés, car la mastication et la digestion étaient les deux choses qui occupaient par-dessus les autres leur illustre progéniture. Le papa sourit d’un air malicieux et goguenard, d’un sourire d’homme établi, de sergent et d’électeur, et conclut à ce que le petit Daniel était décidément amoureux.

Ô Daniel ! vois comme dès le premier pas tu es avancé dans la carrière ; tu n’es déjà plus compris et te voilà en position d’être poëte élégiaque ! Pour la première fois on a pensé quelque chose de toi, et l’on n’a pas pensé juste. Ô grand homme ! l’on te croit amoureux d’une passementière ou tout au plus d’une marchande de modes, et c’est de la Gloire