Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/109

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que tu es amoureux ! Tu planes déjà au-dessus de ces vils bourgeois de toute la hauteur de ton génie, comme un aigle au-dessus d’une basse-cour ! Tu peux dès à présent t’appeler artiste, il y a maintenant pour toi un profanum vulgus.

Dès qu’il pensa qu’il était heure convenable, il dirigea ses pas vers la demeure de son ami. Quoiqu’il fût onze heures, il n’était pas levé, ce qui surprit infiniment notre naïf jeune homme. En l’attendant, il passa en revue l’ameublement de la pièce où il se trouvait ; c’étaient des meubles Louis XIII et de forme bizarre, des pots du Japon, des tapisseries à ramage, des armes étrangères, des aquarelles fantastiques représentant des rondes du sabbat et des scènes de Faust, et des infinités d’objets incongrus dont Daniel Jovard n’avait jamais soupçonné l’existence et ne pouvait deviner l’usage ; des dagues, des pipes, des narghilés, des blagues à tabac et mille autres momeries ; car, à cette époque, Daniel croyait religieusement que les poignards étaient défendus par la police, et qu’il n’y avait que les marins qui pussent fumer sans se compromettre. On le fit entrer. Ferdinand était enveloppé d’une robe de chambre de lampas antique semé de dragons et de mandarins prenant du thé ; ses pieds, chaussés de pantoufles brodées de dessins baroques, étaient appuyés sur le marbre blanc de la cheminée, de façon qu’il était assis à peu près sur la tête. Il fumait nonchalamment une petite cigarette espagnole. Après avoir donné une poignée